Sans vouloir vous entraîner dans un délire mystique, surréaliste et sans intérêt, je vous pose la question suivante : avez-vous déjà eu des visions, ou du moins, des pressentiments ? Non ? Et bien moi non plus. Les signes ne trompent pas, les intuitions si. Dès la réception de ce bijou joliment empaqueté dans son sarcophage de carton coloré, j’ai su que je n’avais guère de raisons de m’inquiéter pour le sort de mes oreilles. Et c’est sans réserve que le passage du monde réel à celui que Trinacria nous ouvre s’est fait. J’ai fait le premier pas, faîtes le deuxième, et « Travel Now Journey Infinitely » fera le reste.

Ainsi, c’est presque insidieusement que Trinacria vous entraîne loin de tout repère musical habituel. A la fin de la première piste, on bascule totalement - et ceci sans s’en rendre compte - dans un tout autre mode de pensée, où l’inconscient rejoint le conscient. La barrière entre litanie cérémonielle et musique moderne est floue, sans pour autant être explosée. Les limites sont étirées, distendues, repoussées le plus loin possible pour laisser place au fleuve de nouvelles représentations sur lequel Trinacria vous embarque. Et tout est fait pour que le voyage se passe dans les meilleures conditions possibles. C’est choyées que sont vos oreilles par ce souci de la clarté du son, et c’est en sécurité vous êtes transportés par les nautoniers qui dirigent le navire sur lequel vous glissez. Nautoniers qui ne sont autres que les trois membres piliers du renommé Enslaved… Il n’est donc pas difficile de vous convaincre de la qualité des compositions que les norvégiens sont capables de vous offrir. Mais ne vous méprenez pas, c’est de Trinacria qu’il s’agit là. Bien que l’on distingue aisément l’influence de leurs travaux précédents en tant que Black Metallers derrière les dissonances avant-gardistes de « Travel Now Journey Infinitely », la faille spacio-psychique qu’est cet album reste le fruit d’un projet résolument neuf et novateur.

Après un portrait si joliment brossé, que reste-il à ajouter ? Rien. Il n’y a pas moyen de dire l’indicible. L’on ressort de cet album tellement changé, qu’il n’est plus vraiment possible de revenir de manière technique, logique et purement intellectuelle sur la façon dont la traversée du Styx s’est passée ; pour en dire le mal, autant que pour en dire le bien. « Addictif » est le moyen, transcendant est le but. But assurément atteint.