Il était attendu, ce nouvel album de Within Temptation. À force de nous dévoiler petit à petit, single par single depuis plusieurs années, on n'y croyait plus ! Bleed Out est enfin sorti, onze titres de metal symphonique parsemés de touches électro, voire même de post-metal. Les quelques singles dévoilés bien avant la réalisation de l'album complet n'avaient pas menti sur la direction artistique plus moderne, plus actuelle.

Les Néerlandais n'ont jamais suivi la même route tout au long de leur carrière (presque 30 ans quand même !), passant d'un metal gothique assez cru des débuts à un métal symphonique raffiné dans les années 2000, pour dévier vers un metal un peu pop, et hélas, trop sirupeux pour la plupart des die-hard fans, n'hésitant pas à collaborer avec des artistes d'autres horizons, avec des résultats un peu douteux sur les deux précédents "Hydra" et "Resist".

D'entrée, avec "We Go to War", le ton est donné, les sonorités sont puissantes, les guitares sous-accordées et bien présentes, faisant la nique aux critiques d'il y a quelques années qui trouvaient que le côté symphonique était trop présent au détriment du côté metal. Les deux titres suivants que nous connaissions déjà en vidéo, "Bleed Out" et "Wireless", enfoncent le clou et n'hésitent pas à intégrer des séquences électro et des ambiances très sombres, comme le post-metal, voire le djent de ces dernières années. Les dernières recrues, Mike Coolen à la batterie et Stefan Helleblad aux guitares, semblent terriblement bien intégrées au sein du groupe (il n'y a qu'à visionner la prestation exceptionnelle du groupe au Hellfest cette année !), et Sharon Den Adel reste toujours cette reine somptueuse de charisme et de talent, toujours dotée de son organe vocal caméléon, passant d'un grave voluptueux à des hauteurs majestueuses, utilisant aussi bien sa voix de poitrine que sa voix de tête. Le timbre de la chanteuse sur le pont de "Bleed Out" en est enivrant, et il est d'autant plus touchant lorsqu'on sait que le morceau parle des femmes iraniennes se battant pour leurs droits.

La patte inimitable du groupe est bien sûr toujours présente, comme sur "Worth Dying For", dont la rythmique rapide me fait penser à "In the Middle of the Night" de "The Unforgiving", et "The Purge", qui n'aurait pas dépareillé sur l'album "The Heart of Everything". "Ritual" reste l'un des morceaux les plus lourds que le groupe ait jamais joué, et "Cyanide Love" surprend par ce tempo lent et oppressant, presque hypnotique, orné d'une sorte de comptine chantonnée en allemand, je crois, et qui semble raconter une partie de cache-cache à la vie à la mort, peut-être dans un contexte de guerre, ou plus vraisemblablement de harcèlement.

Le talent et l'inspiration de Robert Westerholt (époux de Sharon et ancien guitariste d'origine) et de son épouse ne tarissent pas une seconde dans la composition de cet album, et j'ai été pratiquement transcendé par "Don't Pray for Me", sorte d'osmose entre mélodies enivrantes et puissance de feu. Le refrain que Sharon clame comme si c'était son dernier souffle ne cesse de me trotter dans la tête et me ravit les sens, incroyablement beau !

Le groupe continue à collaborer avec d'autres artistes, comme ce duo "Shed My Skin" avec Annisokay, titre très entraînant, mais peut-être le plus faible parmi toutes les œuvres autrement plus passionnantes de l'ensemble.

"Unbroken" invite à dodeliner de la tête et à secouer son corps furieusement et maladivement, avec un petit côté Evanescence dans les riffs et même la façon de chanter. Très sympa et fédérateur ! Ce titre aurait pu terminer l'album, mais "Entertain You" s'en charge en me faisant beaucoup réfléchir sur l'appréciation que j'ai de ce titre. En effet, si je n'avais pas su que cette chanson émanait de WT, je l'aurais certainement détestée, car le côté "dancefloor" de l'ambiance n'est pas vraiment ma tasse de thé. Mais avec la production de l'album, les grattes très graves, sur-produites et la voix de Sharon, tout passe. Je me suis même pris à secouer la tête et à chanter. Coup de maître donc, ce morceau aurait très bien pu officier sur l'album solo de Sharon, "My Indigo", sorti il y a quelques années et superbe de mélodies originales très pop !

Les propos des textes de Sharon n'ont jamais été aussi militants, car les thèmes abordés tout au long de l'album traitent beaucoup de la manière dont les femmes se battent de plus en plus pour leurs droits dans le monde entier, et plus particulièrement dans les pays où leur existence même est quotidiennement bafouée, non respectée, assassinée. La guerre en Ukraine est également évoquée dans quelques textes et prouve l'indignation générale que peut provoquer ce non-sens, cette infamie, et cette atrocité qui dure depuis presque deux ans maintenant, ayant lieu à quelques pas de l'Europe, elle, toujours en paix.

Le graphisme reste impressionnant, que ce soit la pochette ou les différents clips. Un soin particulier est apporté à chaque moment, chaque musique, afin que l'auditeur puisse réellement pénétrer l'univers du concept. Fascinant !

Aurais-je un seul petit reproche, mais il en est de même pour tous leurs albums, la production d'une grosse machine telle que Within Temptation ne permet pas d'entendre tout en détail de chaque musicien, même au casque. L'un des guitaristes, Ruud Jolie, le claviériste Martijn Spierenburg (tellement de séquences orchestrales et de chœurs se superposent qu'on se demande quelles parties il joue réellement), et le bassiste Jeroen Von Veen (présent depuis les débuts) en font à chaque fois les frais. Dommage pour ces musiciens très doués. Écoutez un peu le projet de Ruud Jolie, "For All We Know", et vous vous rendrez compte qu'il est un fantastique compositeur et un guitariste émérite, et donc, hélas, sous-employé dans Within...

Within Temptation se renouvelle une fois de plus et confirme sa place parmi les plus impressionnants groupes du moment, gardant sa ligne artistique et un style global personnel et évoluant en intégrant tous les éléments actuels du genre. Malgré cette évolution et donc cette prise de risque, certains ne manqueront pas de critiquer cette nouvelle tendance musicale, car beaucoup n'aiment pas le changement et auraient aimé que WT sorte éternellement le même "Enter" ou même "Mother Earth" (aussi excellents fussent-ils à l'époque)...

Bleed Out est un grand album, l'un des meilleurs sortis en 2023, et le plus intéressant et surprenant de leur discographie depuis 2011 et le somptueux "The Unforgiving" (qui avait déjà divisé nombre de fans, car délaissant le côté symphonique des débuts au profit d'un schéma de chanson plus calibré). Le groupe semble plus uni et soudé que jamais, Sharon est toujours plus belle et plus impressionnante dans son art, technique vocale et émotion retranscrite parfaites, les Néerlandais n'ont pas certainement pas fini de nous surprendre, et en sachant qu'ils prennent leur temps pour proposer une œuvre superbe à chaque sortie, délectons-nous de ces nouveaux titres et souhaitons-leur encore un beau succès mérité et de grandes tournées mondiales. Respect total et gros, énorme coup de cœur !!!